mardi 15 juillet 2008

Prologue

Ma jeunesse plutôt révoltée sous un ciel désespérément vide a oscillé cependant entre Bakounine et Krishnamurti jusqu'à ce que je devienne vraiment athée, c'est à dire que je m'installe dans le relatif confort de l'indifférence à l'existence ou la non-existence de Dieu, donc véritablement a-thée, c'est à dire sans dieu.
Mais la vie n'avait pas fini de me réserver des surprises si bien qu'un beau matin après que j'ai ouvert ma porte sans le savoir au Père qui est dans les Cieux, je me suis aperçu que je ne pouvais plus vivre indifféremment sans Dieu ou avec Dieu, cela m'était devenu impossible. Après l'expérience de ma conversion il m'a été impossible de vivre de la même façon. Impossible. Fini alors le confort, et bonjour l'aiguillon ! La foi ne m'a plus quitté depuis, même si j'ai eu du mal avec certaines croyances qui ne sont pas du même ordre que la foi, mais j'ai accepté ce jeu nouveau pour moi, ce langage étrange pour un esprit rationnel et l'appétit venant en mangeant, tout ce qui était de l'ordre de la croyance s'est intégré peu à peu en moi, avec profit jusqu'à rendre la vie belle à chaque instant et remplie de poésie.
Voici donc le récit de ce cheminement qui m'a mené jusqu'au Christ, désormais Mon Seigneur et Mon Dieu.

I. Avertissement au lecteur

La Conversion de St. Paul
du
Caravage


Il m’est arrivé de raconter à diverses reprises cet épisode de ma vie à des personnes différentes et je sais très bien qu’un tel récit ne va pas sans poser quelques problèmes qui sont ceux de tout récit d’expérience quelle qu’elle soit.

En effet, d’abord, toute expérience humaine est vécue dans le contexte propre à la personne qui l’a vécue : contexte personnel, familial, social, historique, culturel, religieux etc. En ce sens on ne peut penser que cette expérience, si on lui accorde qu’elle puisse être également vécue par d’autres, ne sera pas vécue de façon toute particulière, à travers un regard particulier, forcément dépendant de tout le contexte dont j’ai parlé plus haut. C'est-à-dire que dans la richesse virtuelle présumée d’une expérience, ne seront actualisés que les éléments perceptibles par la sensibilité particulière (dont les composantes contextuelles sont citées plus haut) de cette personne.


Ensuite, vient le récit de cette expérience vécue. Là, à nouveau et encore, le contexte cité plus haut interfèrera et le récit établira une sélection dans toutes les informations transmissibles. Il y aura donc une mise en relief de certains éléments en même temps qu’une exclusion d’autres, et ceci, seulement par l’effet « naturel » de ce contexte, mais il faudra y ajouter l’intention du discours particulier de celui qui raconte, à l’œuvre dans son récit. Autrement dit, ce que l’auteur d’un tel récit veut que son destinataire en retienne surtout. Ce qui donnera l’occasion à nouveau d’une mise en forme de l’expérience qui pourrait bien éloigner de plus en plus de celle-ci celui qui l’a vécue.


Enfin il faut s’occuper de celui qui reçoit un tel récit. Et là encore, on peut prédire, sans se prendre pour un prophète, qu’il y aura une nouvelle sélection (mise en relief / mise à l’écart) parmi les informations transmises qui correspondront tout simplement à la personnalité du lecteur ou auditeur du récit. Qu’en retiendra-t-il ? Qu’est-ce qu’il en rapportera à son tour, à qui ? Etc. la chaîne continue…

Alors on pourrait se demander : mais à quoi bon ouvrir la bouche devant le risque de tant de déformations ? A quoi bon raconter, oralement ou par écrit, ce qui semble intégralement intransmissible ? Cependant, en même temps, y a-t-il une autre condition humaine que celle-ci, y a-t-il beaucoup d’autres possibilités en dehors du passage par le langage et les codes qui peuvent réduire, limiter, encadrer et formater et les rencontres entre les personnes avec tous leurs problèmes de communication qui peuvent interpréter et déformer ?


Évidemment cela s’applique également à mes yeux à la transmission des Évangiles, aux hagiographies, aux « expériences mystiques » et autres récits pieux qu’on n’aura pas le préjugé scientiste d’écarter obligatoirement parce que du domaine de l’irrationnel et non vérifiable.

II. "Gloire" et renoncement




La longue réserve précédente ayant été faite, je vais tout de même construire une fois de plus un récit de ma conversion puisque c'est cohérent avec mon projet initial de raconter dans ce blog comment un Orthodoxe ordinaire vit sa foi.
On peut dire que tout est parti d’un renoncement. C'est une version possible.
Je vivais alors une vie personnelle extérieure « épanouissante » - comme on la préconise de nos jours jusqu’à la propagande - bien remplie, créative, diversifiée, donc avec une certaine réussite non pas financière mais professionnelle, des relations agréables, dans différents milieux, prestigieuses pour certaines, avec des perspectives assez prometteuses etc.
A l’intérieur, cela allait beaucoup moins bien : les relations de couple étaient en crise et évidemment plus elles allaient mal et plus je m’investissais à l’extérieur. Quant aux enfants ils faisaient bien sûr souvent les frais de cette mésentente conjugale. Tout a néanmoins continué jusqu’au soir où, après une dispute de plus dans le couple, j’ai eu une sorte de prise de conscience que tout allait à vau l’eau dans notre famille et que je devais prendre une décision. Je l’ai prise : elle a été celle du renoncement. Cela a été un renoncement brutal et total. À tout ce qui faisait que cette vie était gratifiante pour mon égo, « épanouissante », à toutes mes activités, à toutes mes relations. Terminé.
Je n’avais aucune foi à l’époque, il y avait longtemps que j’étais devenu un véritable athée, c'est-à-dire un sans-Dieu à la lettre, puisqu’après une période de ma vie athéiste, rationaliste, matérialiste donc militante, j’avais enfin « compris » que Dieu n’était plus mon problème car qu’Il existât ou non, je ne m’en préoccupais plus, je vivais de la même façon. J’étais alors libre de la problématique Pile/Face qui finalement se mord la queue. J’étais « libéré » de l’existence de Dieu. Je ne fréquentais d'ailleurs plus ceux qui avaient fait de leur militance une pitoyable raison de vivre. Je n'avais plus de compte à régler de ce côté-là depuis un moment.
J’avais donc renoncé mais je n’avais plus aucune perspective. Si l’on avait pu mesurer alors les signaux électriques produits par mon âme on aurait obtenu un « électropsychogramme » sans haut ni bas, parfaitement plat. J’étais mort à tout désir...

III. "Renaissance" et "Activation mentale"


Ensuite on peut voir chaque période et chaque expérience vécue comme un jalon dans un cheminement guidé par la grâce et un apprentissage étape après étape, acquis après acquis…


Quelqu’un m’a proposé, pour me sortir de là, un « séminaire » d’un week-end dit d’«activation mentale », j’ai fini par accepter d’essayer… et effectivement cela a été bénéfique. J’y ai expérimenté en groupe une sorte de « renaissance » guidée qui se voulait plus douce que ce que l’on pratiquait alors sous le nom de « rebirth » : on était invité à revivre émotionnellement les étapes douloureuses de sa vie en remontant le plus loin possible. Certains prétendaient être parvenus jusqu’à leur naissance. Je ne suis pas allé jusque là… mais j’ai appris à renverser radicalement ma façon de voir le monde et la vie, j’ai appris à cultiver les pensées positives, à me relaxer profondément, j’ai dit Oui à la vie.

Et surtout, j’ai pris conscience de la puissance, étonnante autant qu’effrayante (selon sa charge positive ou négative) du désir, à travers espace et temps ; ce qui sera une expérience qui ne me fera pas douter le moins du monde, plus tard, de la réalité de la puissance de la prière, en même temps qu’elle favorisera la prise de conscience fondamentale de la responsabilité de chaque individu dans sa propre vie, ses pensées, ses paroles, ses actions, quant à la bonne ou mauvaise marche de la vie du monde.

Dans les années de révolte de ma prime jeunesse j’avais eu deux livres de chevet : « l’Anarchisme » de Daniel Guérin et « La première et dernière liberté » de Krisnamurti. Je subodorais déjà que l’extérieur n’allait pas sans l’intime et que la préoccupation de liberté et de justice de tout groupe passait aussi par la révolution intérieure de chacun ; mais je n’avais pas alors vraiment commencé le travail. En tout cas je me suis arrêté de fumer et je suis rentré à la maison si métamorphosé que j’ai fait des émules autour de moi, aussi bien chez mes proches que mes amis et mes connaissances. Gros succès !

Quelques années plus tard j’ai lu dans un magazine que cette association dans laquelle j’avais eu la chance d’apprendre à revivre et à voir la vie autrement avait été classée dans la liste infamante des sectes. Ce qui est parfaitement ridicule voire révoltant, car à aucun moment de ma propre expérience, je n’ai été l’objet de la moindre manipulation visant à aliéner ma liberté, ou à me ruiner d’une quelconque manière ou encore à m’enrôler de force dans un gang de prosélytes… Je crains que tous ceux qui, selon leurs vertueuses déclarations, veillent soigneusement à notre liberté, ne deviennent parfois des inquisiteurs d’une espèce pire encore que ceux dont ils prétendent nous protéger.

J’y avais été initié au lâcher-prise qui est un autre nom de l'abandon, à la concentration voire à la foi même si, cette foi était un peu vague… et j’ai réenvisagé ma vie personnelle, conjugale, familiale et professionnelle dans une autre vision du monde, dans le sens de l'amour de la vie qui est sans doute inséparable d'une vie d'amour.

IV. L'influence californienne


L’expérience fut riche. Après ce séminaire avaient lieu des séances hebdomadaires de suivi, d’entretien, d’approfondissement auxquelles on pouvait venir à loisir. Venaient là toutes sortes de gens : des gens qui voulaient améliorer leur vie, personnelle, sentimentale, professionnelle, financière, d’autres qui voulaient obtenir la sagesse, l’illumination ; il y avait les incrédules critiques peu enclins à se laisser berner, posant systématiquement des questions sur tout, les pieds bien posés sur terre et ceux qui avalent tout sans examen ni mastication, tout prêts à enfourcher la moindre nuée, proies faciles pour les gurus de tout poil (bien sûr, certainement aussi…) et aussi les chercheurs ouverts mais exigeants. Cette expérience avait l’avantage de faire se rencontrer des gens de toutes conditions qui ne se seraient jamais parlés s’ils n’avaient pas partagé, dans la plus totale nudité, cette expérience profonde commune où l’on pouvait voir de ses yeux que la souffrance n’épargnait personne sur cette terre, riches et pauvres et que sous des dehors tout ce qu’il y a plus insignifiants ou à l’opposé brillants pouvaient se cacher des détresses tout aussi tragiques. Il m’est apparu d’ailleurs à cette occasion qu’il est bien souvent plus facile d’avoir de la compassion pour ceux que l’on sent en dessous de soi socialement que pour ceux que l’on considère au-dessus. Ce qui laisse planer un doute sur la qualité d’une telle compassion, convenue certes, et politiquement correcte, mais peut-être un peu trop restrictive et ciblée…

Mais Dieu n’était pas encore au programme pour moi et bien qu’à un moment, une des salles du centre de l’association se soit appelée du jour au lendemain « salle Thérèse d’Avila», cela m’était apparu comme d’un kitch de mauvais aloi. D’ailleurs, bien loin du château spirituel dont je n’avais pas pris connaissance, l’expérience me suffisait alors, j’étais suffisamment armé pour continuer mon chemin.

En revanche, curieux comme je l’ai toujours été, et préoccupé de l’origine des choses, soucieux de remonter aux sources (ce qui ne me quittera pas jusqu’à l’Orthodoxie) j’ai pris conscience qu’en face de la Californie d’où semblaient provenir en première analyse toutes ces efficaces démarches dites de « développement personnel » - pour faire vite – se trouvait le Japon et toute l’Asie…

V. En face, l'Asie : 1.le Taoïsme



Ma recherche avait commencé…
J’étais préoccupé par une vision plus large et une vision du monde cohérente et pas seulement par quelques techniques visant à rendre la vie plus confortable. Et comme l’original m’a toujours semblé préférable à la copie, tout ce que je pensais avoir compris des sources m’a dirigé vers l’Orient, l’Asie donc, et plus particulièrement vers le Taoïsme.

Je me suis acheté le Tao Te King [Dàodé Jīng] et le Tshouang Tseu [Zhuangzi] et d’autres livres de commentaires et j’ai trouvé tout cela passionnant même si je n’ai pas tout compris tout de suite ; en tout cas cela me paraissait suffisamment exigeant pour que cela m’apparaisse comme devant être sérieusement approfondi.
J’ai été particulièrement attiré par la notion de Wu Wei 無爲, qu’on traduit généralement par Non Agir, et qui est en fait plutôt un mode d’agir et un comportement adapté aux circonstances changeantes de la vie, attentif et fidèle à la nature, sans qu’il soit besoin de forcer, et dans lequel, paradoxalement, quelquefois ne pas agir est la meilleure façon d’agir. Autrement dit, il faut faire confiance à la Vie qui résout elle-même ce qui doit être résolu. Restait à adjoindre la pratique à la théorie….


Je me mis en quête de maîtres taoïstes et pris bientôt contact, après lecture d’un article - je ne sais plus dans quel journal, avec une vieille et honorable dame chinoise, ancien professeur de musique du Conservatoire de Shanghai qui, à ses dires s’occupait d’une pagode taoïste sise chez elle et j’étais bien impatient de la rencontrer. Elle me demanda de lui écrire préalablement pour lui expliquer le sens de ma recherche, ce que je fis. Cela ne lui agréa sans doute que peu puisqu’elle ne me répondit jamais. Je ne voyais pas à qui m’adresser au plus près de chez moi à l’époque, et comme toutes les disciplines du Taï Chi et autres Chi Gongs ne s’étaient guère développées encore à l’époque en France, je mis de côté mon projet de pratique et je continuai à étudier les textes, en conservant précieusement à l’esprit ces éléments de doctrine qui me semblaient si paradoxaux mais si attirants. J’ai été bien heureux plus tard de retrouver ce sens du paradoxe dans la théologie orthodoxe magnifiée par son hymnographie.


Et puis j'ai conservé ce texte précieux que les enragés contre le Christianisme qu'ils confondent malheureusement avec son unique forme occidentale ne veulent surtout pas qu'on "détourne" :

Il est un être confus qui existait avant le ciel et la terre.
Ô qu'il est calme ! Ô qu'il est immatériel !
Il subsiste seul et ne change point. Il circule partout et ne périclite point. Il peut être regardé comme la mère de l'univers.
Moi, je ne sais pas son nom. Pour lui donner un titre, je l'appelle Voie (Tao). En m'efforçant de lui faire un nom, je l'appelle grand.


Tao Te King chap 25







Assez rapidement la poursuite de mon exploration du sujet m’a fait constater qu’en Chine, il n’y avait pas qu’un Taoïsme, et que c’était loin d’être avant tout une philosophie de sages dénués de tout bien, pratiquant dans une pureté et un dépouillement fascinants pour des occidentaux dans mon genre - soucieux d’écarter tout rituel et toute croyance pour se consacrer au « spirituel » en écartant le « religieux » (opium par excellence du peuple). Cela comprenait aussi des pratiques religieuses avec des temples, un clergé, des autels, des rites, des offrandes, voire une pratique magique et à tout le moins une discipline du corps et de l’esprit visant à acquérir des pouvoirs supranormaux…



J’en étais là, je désirais tout de même une pratique individuelle et communautaire à la fois et pas seulement une étude théorique personnelle. Je décidai donc de rester spirituellement en Asie mais en un domaine plus à ma portée et m’intéressai alors au Bouddhisme, beaucoup plus visible et présent sur le territoire français, tout en connaissant bien les conflits historiques et doctrinaux qui avaient opposé l’un à l’autre…

VI - 2. Buddha 1. Nichiren ..




Disposé à l’exploration du Bouddhisme donc, je n’eus pas à chercher longtemps ni bien loin, puisque la mère d’un ami, pratiquante de la Nichiren Shoshu, m’invita à une réunion d’information. C’était étrange et familier parce que c’était une école qui tout en se présentant comme la seule école de Bouddhisme « orthodoxe » (sic ! eh oui !) mettait étrangement l’accent sur la concordance du progrès sur la voie de l’Eveil et de la réussite sociale. J’avais déjà rencontré cela – bien que cela n’ait été déclaré à aucun moment comme « religieux » - dans ce fameux séminaire qui m’avait tiré de mon hibernation psychique ; je n’étais donc pas trop choqué car je savais que l’on pouvait tout de même bénéficier du meilleur au milieu des pires scories d’une expérience et j’étais bien décidé à vivre cette expérience. Quoi qu’il en soit, ce n’est évidemment pas propre à cette école de Bouddhisme puisqu’on retrouve cette attitude aussi bien dans certaines tendances du Judaïsme que du Protestantisme pour ne citer que ce qu’il est convenu d’appeler Monothéisme.

La pratique était - et est, pour ceux qui sont dans cette école - assez simple : il s’agit avant tout, selon l’enseignement du moine japonais du XIII°s. Nichiren, fondateur de cet enseignement, de réciter le mantra « NAM-MYOHO-RENGE-KYO » [qui signifie littéralement : "Je me consacre à (et je vénère) la Loi de Myoho Renge Kyo" ou « Je me consacre à (et je vénère) l’enseignement du Sûtra du Lotus »] et des extraits de ce « Sutra du Lotus de la bonne loi » (Hokkekyô en japonais) le tout étant consigné dans un petit livret.

On récite les textes et les mantras les mains jointes avec un chapelet dans les mains mais qu’on n’égrène pas. Le mantra n’en est pas un dans le sens du Bouddhisme tantrique puisqu’on ne reçoit pas d’initiation ésotérique par un maître (faute de quoi il n’a pas grand effet selon la doctrine tantrique) pour le pratiquer et qu’un effet du style n’est pas attendu comme dans le Vajrayāna de type tibétain par exemple. D’ailleurs Nichiren bien qu’issu de l’école Tien Taï, école ésotérique, a rejeté ensuite tout tantrisme et a passé sa vie à pourfendre toutes les autres écoles bouddhistes pour défendre celle que ses adeptes considèrent comme la seule « orthodoxe ». De même la pratique du mandala n’a été conservée dans son école que sous la forme d’une calligraphie complexe similaire au mandala figuratif du Shingon (école ésotérique japonaise équivalente du tantrisme tibétain) par exemple mais rendu abstrait par la seule écriture.



Le "mandala" de Nichiren


(C'est bizarre ces trois croix tout en haut, non ? -Mais non ! C'est du sanskrito-sino-japonais !)



On peut tout à fait prendre connaissance du contenu de la doctrine et de la pratique à cette adresse : pour ce qui est du cadre dans lequel j’ai pratiqué. Si l’on veut entendre la virtuosité étonnante de Tina Turner (fervente pratiquante de cette école) dans cette pratique on peut regarder cette video de You tube. Cette autre adresse enseigne la doctrine de Nichiren mais se veut indépendante, car il faut dire que la Nichiren Shoshu était articulée à une organisation « culturelle » appelée Soka Gakaï société japonaise avec de nombreuses ramifications internationales pour le moins controversée...

Je m’y suis consacré avec enthousiasme et de tout mon être et cela a été pour moi une découverte d’importance d’expérimenter la puissance du rythme et des vibrations sonores de la récitation de prières à haute voix, corps et esprit unifiés. Je ne me rappelais de mon enfance catholicisante que des choses assez molles et psychologisantes et là une énergie incomparable circulait en soi et en relation avec les autres de façon fascinante, qui donnait une autre dimension à la « prière ». J’ai lu des ouvrages du président Daisaku Ikeda de la Soka Gakaï qui m’ont initié à une vision du monde bouddhiste et j’ai trouvé cela très intéressant.

Cette expérience est restée suffisamment vivante et convaincante en moi (une sorte de vérification par le corps de l’authenticité d’une pratique ) pour que je ne supporte guère que l’on récite les psaumes et les textes liturgiques autrement que selon la tradition orthodoxe, je veux dire pas comme on les récite dans l’église catholique ou protestante moderne avec cette intention permanente de transmettre du sens en interprétant (dans tous les sens du terme) le texte sous prétexte de « méditer » le texte. La récitation orthodoxe, neutre, rythmée, au volume soutenu, sans dramatisation ni jeu théâtral incongru, permet, à celui qui récite comme à son auditeur, d’être entièrement disponible à ce qui ne lui est destiné qu’à lui personnellement par l’Esprit Saint, d’être réceptif aux versets qui ne peuvent le toucher que lui et qu’il peut ainsi entendre sans le filtre déformant d’un intermédiaire bien intentionné. C’est cette pratique qui m’y a ouvert.

Cependant, autant je m’y suis adonné sans restriction quant à la pratique, autant j’ai fui quand j’ai eu affaire avec la structure, l’organisation, et quand surpris de ne pouvoir ni me rendre librement au temple que je n’ai pu même approcher, ni pratiquer avec qui je désirais, quand j’en avais l’opportunité sans le consentement des responsables hiérarchiques de l’organisation, j’ai commencé à avoir des doutes, ai fait des recherches et ai lu des articles divers en quantité suffisante, pour me faire penser que cette école, si sectaire d’ailleurs avec ses prétentions à la seule orthodoxie, pouvait l’être aussi quant à son encadrement. Il m’est apparu également que l’on illusionnait des personnes en difficulté sociale en leur faisant croire que leur avancement dans la hiérarchie de ce qui ressemblait plutôt à une secte, au mauvais sens du terme, montrait les bienfaits de la pratique, et confirmait une rupture de leur mauvais karma d’origine, donc leur avancement dans la Voie. Il a suffi que l’on me suggère ici et là que tout cela avait quelque accointance avec des milieux politiques plutôt éloignés de l’idéal de détachement du bouddhisme pour que je quitte tout cela définitivement. Je n’ai jamais été fait pour les sectes, ni pour les clubs fermés d’ailleurs.
C’est alors que j’ai fait l’acquisition d’un livre qui m’a montré qu’il n’y avait pas moins de douze « sectes » ou écoles de bouddhisme rien qu’au Japon (Kusha, Jojitsu, Ritsu, Hosso, Sanron, Kegon, Tendaï, Shingon, Zen, Nichiren, Jodo, Shin) et j’ai continué mon chemin…


"Nichiren sauvant ses disciples de la tempête"...

(Cela ne vous rappelle rien ? Bizarre, bizarre...)

VII - 2. Buddha 2.Le Vajrayana

Ayant donc pris la décision d’aller voir ailleurs mais toujours dans le Bouddhisme et en restant en France, je suis allé en Savoie, à l’ancienne Chartreuse de St Hugon, siège de Karma (Chédroup Tcheu) Ling dirigée par un moine français Lama Denis Teundroup disciple du grand maître de la lignée tibétaine (Shangpa) Kagyu : (Kyabdjé) Kalou Rimpotché. Cela a été un total dépaysement de trouver, en un lieu de montagne aussi austère l’hiver, un lieu aussi exotique, où toutes les couleurs, les formes, les sons, les édifices, les peintures, les statues, avec toutes ces offrandes raffinées à leurs pieds contrastaient heureusement avec les désordres des chantiers divers car il restait encore à cette époque beaucoup à construire. Cela me donnait évidemment une autre image du Bouddhisme que celui prétendu « orthodoxe » de la Nichiren Shoshu. Là j’ai retrouvé la récitation des sutras même si c’était dans une autre langue et la récitation de mantras, notamment celui que tout le monde connaît « Om mani padme Houng »

dans la méditation de Tchenrézi (Avalokiteshvara, le Bouddha de la compassion, représenté quelquefois avec 1000 bras, image de la mutitude des possibilités de sa compassion pour tous les êtres, ou bien sous la forme d'un androgyne en Chine (Guan Yin ) avec un enfant dans les bras qui le fait irrésistiblement penser à une statue

de la Vierge Marie (eh oui encore une fois bizarre...Kannon Marie ) ou au Japon (Kannon).

On peut en trouver facilement sur le web la signification mais j’ai également connu une autre pratique fondamentale et très répandue dans presque toutes les écoles bouddhistes sauf dans l’école de Nichiren et celle de la Terre Pure : celle de la "méditation". J’ai fait une retraite où j’ai été initié à la méditation de base Shinay (la pacification mentale) Lhagtong (la vision pénétrante) ce qui a été un bon préliminaire à ma pratique plus tardive du Zen. La pratique des mantras était différente, moins « énergétique » plus « intériorisée » que NamyoHorengeKyo et dans le Vajrayana elle nécessite pour avoir sa pleine efficacité ésotérique une initiation et une transmission par un maître habilité. J’ai donc approfondi ma connaissance d’un autre bouddhisme, suivi des enseignements, lu des livres et j’ai même fait l’acquisition d’un superbe bouddha, d’un vajra et d’une cloche objets du culte tantrique alors que je n’étais pas allé, dans ma pratique antérieure, jusqu’à l’obtention d’un Daï Gohonzon (copie du « mandala »calligraphié par Nichiren) et devant lequel s’effectue uniquement la pratique à haute voix. Je suis rentré à la maison et j’ai commencé à pratiquer seul avec les livrets oblongs de prière tibétains mais sans mala (chapelet) assis sur un coussin ordinaire.



Cependant je ne suis pas resté dans cette pratique car tout ce qui m’avait surpris et émerveillé me semblait tout de même assez loin de moi culturellement et s’annonçait comme bien trop complexe à pratiquer avec toutes ces divinités peu familières à visualiser et trop « magiques » pour mon tempérament. Bref c’était trop exotique pour mes préoccupations, l’attrait ne pouvait durer qu’un temps et devenait plutôt un obstacle à mon engagement.
Néanmoins je gardai le souvenir d’une grande douceur de la part de mes instructeurs, bien conforme à ce que je pouvais imaginer des pratiquants bouddhistes alors, notamment de Lama Denis qui organisera plus tard des rencontres inter-traditions auxquelles participera, pour l'Orthodoxie(dont j'ignorais jusqu'à l'existence alors) Père Placide Deseille... Il m'apparut que le bouddhisme était incroyablement profond et précis dans sa connaissance très aiguë des mouvements de l’ « âme » humaine. On était loin également des préoccupations mondaines de la Soka Gakaï et je m'y retrouvais davantage. Mais le vrai trésor du moment était la méditation simple et surtout la rencontre avec celui qui connaissait Père Placide... Cependant de conversion point encore à l'horizon...

VIII - 2. Buddha 3. Zen


Je me suis lancé dans ce récit, il me faudra bien le terminer et en essayant de ne pas trop ennuyer mon lecteur bien que quelquefois ça me fatigue un peu de raconter ma vie, il me faut l’avouer. Je serais même tenté de précipiter un peu les péripéties mais cela serait plutôt ingrat de négliger les étapes organisées avec une infinie patience par le Seigneur pour ramener son indigne serviteur à la maison.

Alors je vais reprendre tout de même courageusement : le Vajrayana c’était trop d’exotisme en effet. Pourtant je n’ai pas totalement exclu les écoles tibétaines puisque plus tard, pensant avoir trouvé une pratique non duelle absolue offrant une diversification habile des pratiques pour "devenir bouddha dans cette vie avec ce corps" [Sokushin-Jôbutsu], comme on le prêche dans l’école ésotérique japonaise Shingon , j’ai été initié à la pratique du Dzogchen (dans l’école de Chögyal Namkhai Norbu)


qui se veut au-delà de toutes les écoles du Tantrisme et j’ai tourné – sans m’y investir autrement que de manière livresque – autour du Bön qui précède tout apport venu de l’Inde et n’a pas cessé d’exister au Tibet malgré l’« impérialisme » du Bouddhisme.

La méditation était alors ma préoccupation et je me suis tourné vers le Zen (禅) Soto qui était le plus représenté à l’époque – et même le seul – alors que désormais d’autres écoles Zen (le Rinzaï qui donne beaucoup d’importance aux Koans [injonctions paradoxales], le Son coréen qui comprend en sus du Zazen des pratiques communes à d’autres écoles comme les prosternations, les mantras etc. l’école Sambo Kyôdan etc.) ont leurs instructeurs (Sensei) voire leurs maîtres et leurs dojos en France et dans différents pays d’Europe.
Dans l’école Soto du Zen qui a été introduite en France dans les années soixante par Taisen Deshimaru disciple de Kôdô Sawaki (voir son émouvante biographie en cliquant sur l'image )

   
et que l’on trouve dans toute l’Europe désormais, prime sur tout l’assise nue :
Zazen (座禅).
C’était ce qu’il me fallait.

Il s’agit de s’asseoir dans la posture juste (en lotus, demi-lotus ou posture birmane) celle dans laquelle Sâkyamuni, le Bouddha historique, a rencontré l’Eveil, posture ni crispée, ni relâchée, sans visualisation, sans combattre mais sans alimenter les pensées, sans recherche d’effet (genre relaxation ou concentration ou inspiration avant l’action) sans but et surtout pas en recherchant la Réalisation, le Satori, et encore moins la rencontre du Bouddha (« Si tu rencontres le Bouddha, frappe-le ! » est-il enseigné. C’est très physique : se tenir le dos droit, le menton rentré, la tête poussant vers le ciel, les genoux appuyant sur le sol, concentré sur la respiration avec une expiration longue et une inspiration lui succédant naturellement, attentif aux crispations ou l’avachissement. Seulement s’asseoir Shikantaza 只管打坐 disait Maître Dogen.
Plus trivialement ou plus rudement "Assieds-toi et ferme-la" dit un instructeur américano-japonais ancien musicien de rock. Par parenthèse une certaine rudesse n’est pas forcément le contraire de la compassion mais plutôt en est aussi une forme, je ne l’oublierai jamais dès ce moment, écartant les mièvreries du politiquement correct qui n’est autre que de la culture chrétienne sécularisée, sans Dieu.
Pratique simple et dépouillée mais riche d’enseignements. Zazen n’est pas seulement une posture physique qui invite au calme les excités, ou oblige les endormis à se tenir éveillés, c’est à la fois une métaphore de la vie selon le Zen et la vie même. Considéré par cette école comme l’enseignement en droite ligne du Bouddha il y a 2500 ans et transmis de maître à disciple, le Dhyâna est devenu le Ch’an à son introduction en Chine par le 28eme Patriarche Bodhidharma, puis le Zen au Japon grâce à Dogen au 13° siècle dont les textes sont devenus le fondement même de cette école. J’ai donc pratiqué encore une fois de tout mon être, corps et esprit, matin (quelquefois même midi) et soir seul sur mon zafu (coussin de méditation, rond, noir, bourré sur mesure de kapok) comme on le fait dans l’école Soto : face à un mur. Et j’ai bien sûr participé aux sesshins (retraites) du temple de la Gendronnière puisque c’est dans le cadre de l’AZI que j’ai pratiqué. Cette pratique a été pour moi une merveilleuse école d’ascèse, de dignité, d’engagement, de foi, de courage, de persévérance, de longanimité. Les rituels exigeants, beaux et sobres m’ont alors convenu parfaitement et bien qu’esthétiquement très japonaise on pouvait trouver dans cette école un dépouillement tel qu’il restait ouvert à l’universel et donc convenable pour un Français ; davantage que le foisonnement et le bigarré de la culture tibétaine.
Quant à la « théorie » développée aussi bien dans le recueil de leçons de Dogen que condensée dans le Sutra du cœur il aura contribué à faire place nette en mon esprit de sorte que l’apophatisme de la théologie orthodoxe n’aura par été très déstabilisante par la suite.


Tous les êtres sont Bouddha depuis l’origine des temps, Comme l’eau et la glace, Sans eau ni glace, hors de nous pas de Bouddhas. Si proche est la vérité, bien que nous allions la quérir au loin. Entourés d’eau, nous crions : “J’ai grand soif ! ”Nés riches, nous errons comme des pauvres, faisant inlassablement le tour des six mondes. Notre affliction a pour cause l’ego trompeur. De sentier en sentier, nous tâtonnons dans le noir. Comment nous affranchir de la roue du samsara ? La porte de la liberté est le samadhi procuré par le zazen. Par-delà l’exaltation, par de-là la louange, est le pur Mahayana. Les préceptes, le repentir, le don, la voie juste d’existence, les innombrables actions méritoires, tout cela a son origine dans le zazen. Le samadhi authentique disperse tous les maux ; il nous purifie du karma, évacue les obstacles. Où sont désormais les sombres sentiers sur lesquels nous nous égarions ? Le pays du Lotus Pur est proche. Entendre cette vérité, le coeur humble et reconnaissant, chanter ses louanges et l’embrasser, pratiquer sa sagesse, est source de bienfaits illimités, de montagnes de mérite. Mais si, retirés en nous-mêmes, nous nous prouvons notre vraie nature - que l’être véritable est dépourvu d’ego que notre soi n’est pas un moi - l’ego est transcendé et les mots habiles sont derrière nous. Alors la porte de l’unité s’ouvre avec fracas. Il n’y a plus ni deux ni trois, en ligne droite court la Voie.Notre forme étant devenue non-forme, nous pouvons aller et venir sans jamais sortir de chez nous. Notre pensée étant devenue non-pensée, nos danses et nos chants expriment le Dharma. Immense, infini est le ciel du samadhi ! Éclatant et transparent est le clair de lune de la sagesse ! Là, dans le monde, quelque chose nous ferait-il défaut ? L’immensité du nirvana se déploie devant nos yeux. La terre que nous foulons a pour nom Lotus Pur, et notre corps est le corps même de Bouddha.




Chant de louange pour le zazen, par Hakuin Ekaku (1685 - 1768)



IX : 2. Buddha : Zazen précurseur du Silence Béni

Благое Молчание

Ce qui suit n’est pas une prétentieuse et vaine leçon spirituelle, il faut plutôt le lire comme un dialogue personnel avec mon passé, utile à consolider ma foi sans renier tout ce que le Seigneur m’a servi de meilleur tout au long de mon chemin quand j’avais faim et soif. Et le Seigneur qui prend précieusement soin de ses enfants (Kyrie Eleïson !) sait mieux que quiconque qu’on ne nourrit pas un enfant ou un malade avec la même nourriture que l’on donne à un adulte bien portant.

Ce que le Zen m’a appris :

Zazen m’a appris, d’une façon dépouillée et condensée à la fois, que la vie spirituelle et la vie tout court, c’est un réajustement permanent et pas forcément une progression rectiligne. Voir la divinisation comme une progression rectiligne, une ascension irrésistible jalonnée de mérites, c’est s’exposer à la tentation de l’orgueil et au découragement, pile et face de la même pièce de cette fausse monnaie :

« Seigneur et Maître de ma vie, Ne m’abandonne pas à l’esprit de découragement »

Car suivre cette illusion spirituelle, c’est s’exposer à la chute des derniers échelons de l’échelle de St Jean. « Il n’est pas d’homme qui vive et ne pèche pas ». Quand on prend l’habitude de « tomber et se relever » comme Sainte Thérèse, chaque instant est une petite résurrection, et une chute ne nous fait pas tomber définitivement dans les bras des noirs démons par le biais de l’acédie, forcément proportionnelle à l’orgueil du parvenu spirituel déçu. Au contraire l’humble petite goutte d’eau finit par creuser la pierre. C’est une métaphore zen que j’aime. C’est l’entraînement courageux, vigilant et persévérant du bon combat contre le relâchement et la négligence :

« Seigneur et Maître de ma vie, Ne m’abandonne pas à l’esprit de négligence »

C’est aussi l’immobilité qui permet au moins un temps de ne pas pécher en actions évidemment, ou autrement dit de s’entraîner à ne pas agir spontanément selon notre nature déchue mais en accord avec notre véritable nature, notre nature de Bouddha qui n’est pas très différente de notre nature faite à « l’image et à la ressemblance ».
Quand on s’assoit pour ne rien faire d’autre, on est appelé à lâcher prise, à cesser d’entretenir en nous le désir de tout saisir, tout contrôler. On abandonne cette illusion que, par l’action et la volonté, on peut toujours tout maîtriser dans notre vie. Cet abandon de la volonté propre est bien une des conditions fondamentales de notre réception de la grâce.

« Seigneur et Maître de ma vie, Ne m’abandonne pas à l’esprit de domination »

Plus tard je comprendrai que la croix dans ce sens deviendra ma posture de chrétien
C’est la mise en action et la vérification de la fidélité, un des sens de la foi.


Et puis Zazen c’est la posture, bouche fermée, silencieuse, qui permet au moins le temps qu’on la tient de ne pas pécher en paroles :

« Seigneur et Maître de ma vie, Ne m’abandonne pas à l’esprit de vaines paroles ».

Mais cela aura été bien plus que cette abstinence du péché par paroles.
Cet apprentissage du silence prolongé n’aura pas été pour moi le plus mauvais chemin pour approcher le Seigneur que l’on représente sur cette icône qui m’est si chère du Спас Благое Молчание : ange aux mains croisées sur la poitrine, avec derrière la tête non pas le nimbe circulaire contenant la croix comme d’habitude, mais l’étoile à 8 branches formée des deux carrés, l’un lumineux de la Divinité triomphante et l’autre sombre, apophatique, de la même Divinité, ténèbre de l’incompréhensible offerte à l’orgueil de l’esprit humain déchu. Cette icône si spéciale de Notre Seigneur silencieux est pour moi l’invitation au silence auquel nous sommes conviés par tous les moyens sacrés de nos offices, de nos chants, de nos liturgies, de nos icônes, pour entrer dans la ressemblance. La notion d’Hesychia me sera familière quand je la rencontrerai plus tard.
Mais elle est aussi l’icône de l’attente silencieuse de l’infinie bonté de la Parole de Dieu avant sa manifestation aux hommes par son Incarnation même, et pour moi personnellement, la patience attentive et silencieuse de mon Seigneur du moment où ma porte serait enfin ouverte à la grâce de la conversion dans ma vie de pécheur. L’histoire du salut d’un seul homme n’est-elle pas en lui le renouvellement de l’histoire du Salut de tous ? Ainsi vit le Corps du Christ.

X - 2. Buddha : Zazen - Ici et maintenant


J’ai donc pratiqué zazen assidument. Pratiquer quelquefois cinq jours de suite en sesshin (approximativement retraite zen) dans un dojo en groupe aura produit alors des effets sur moi non seulement au point de vue physique («aïe aïe aïe ! » ou bien me donnant une furieuse envie en fin de session de courir, sauter ou danser !) mais aussi psychiquement et spirituellement. Cela m’a permis en effet de poursuivre un certain nettoyage des relations détériorées avec des proches par exemple ou bien cela m’a donné une fois une vision-conception de la réincarnation un peu plus cohérente avec la conception du moi bouddhiste que celle du système tibétain par exemple. On ne s’occupe qu’assez peu de cela dans le Zen, contrairement au Bouddhisme du tantra, plus proche de l’Inde. J’ai donc eu cette vision d’un caillou jeté dans un fleuve sombrant au fond de l’eau tout en produisant à la surface des ondes à la forme singulière à cause de sa chute particulière ; ces ondes à la surface de l’eau ont rassemblé des éléments de matière en suspension qui se sont condensées en se rapprochant du rivage pour finir par échouer sur la berge : un homme est mort et a disparu, un autre est né ; ce n’était pas le même mais le second était le produit du karma du premier ; les actions de toutes sortes faites par lui (son karma) ont donné par résonance une configuration toute nouvelle ayant tout de même un certain rapport de causalité avec l’ancienne. D’où l’importance des derniers instants.
Voilà la vision que j’ai eue de la réincarnation. Je ne la rapporte maintenant que parce qu’elle me semble offrir une certaine cohérence dans le contexte et le système bouddhiste et qu’elle est échangeable dans le même cadre mais j’ai mis ça de côté depuis un certain temps désormais et la confusion n’est pas ma tasse de thé même si l’homme est d’évidence pour moi un animal religieux quel que soit le temps et le lieu, et qu’à ce titre, on retrouve forcément des universaux dans toutes les religions et spiritualités. Dieu étant de toute éternité et ayant créé l’homme à son image et à sa ressemblance, l’homme a toujours parlé de Dieu et s’est toujours adressé à Lui dans tous les langages.
Dogen dans son Genjô kôan a écrit : « Dans l'enseignement de Bouddha, il n'a jamais été dit que la vie se transforme en mort. […] la vie et la mort ont leurs propres existences. […] La vie et la mort ont une existence propre et n'ont entre elles de rapport que celui qu'entretient l'hiver avec le printemps. N'allez surtout pas penser que c'est l'hiver qui se change en printemps ou le printemps en été. " Sensei Deshimaru, commentant Dogen reprenait une autre métaphore : « C’est le même rapport qu’entre le bois et la cendre. Le bois ne connaît pas et ne peut pas regarder sa cendre. Le bois peut regarder la cendre d’un autre bout de bois mais il ne peut pas regarder sa propre cendre. C’est la même chose qu’entre la vie et la mort, comme le bois brûlé qui devient cendre. La cendre ne peut pas penser qu’avant elle était du bois et inversement » « Ici et maintenant est important. » « Ici et maintenant inclut l’éternité ».

Je dois avouer qu’après toutes ces années, même si la Résurrection est le fondement de ma foi orthodoxe et la force irrationnelle de ma vie, j’ai persisté dans l’importance donnée à l’ici et maintenant sans me préoccuper outre mesure ni de la fin du monde ni du jour du Jugement. Je sais trop à quel point tout ce qu’un homme fait ou ne fait pas à tout instant a des répercussions sur le cosmos entier dans l’espace et le temps et que sa responsabilité est considérable pour la bonne santé du Cosmos c'est-à-dire du Corps du Christ même. il faudra bien en rendre compte à un moment donné... Inutile donc de passer trop de temps à discuter de la théorie des péages ou bien d’imaginer avec précision ce qui va se passer après notre mort et encore moins d’accorder trop d’importance aux récits des Near Death Experiences, même si tout cela est tout de même attirant quelquefois. Il y a tant à faire maintenant dans cette vie, dans ce corps pour réduire notre capacité à pécher… Mais surtout je sais également que le Royaume est déjà là à tout instant, depuis l’Incarnation, la vie, la mort et la résurrection de Notre Seigneur et que la grâce peut nous en faire vivre la vie pour peu que nous coopérions à notre mesure. Tout le monde n’est pas Seraphim de Sarov bien sûr ni même Motovilov… mais de multiples petits miracles nous sont offerts bien souvent.

Bref j’ai continué Zazen mais en espaçant de plus en plus les sesshins et en pratiquant seul de plus en plus à la maison parce que, je trouvais quelquefois les godos (= chargés de diriger les séances) pas toujours très inspirés et j’avais même l’impression d’entendre trop souvent des discours un peu fabriqués et peu en résonance authentique avec ceux qui dans le même lieu, au même moment, pratiquaient le recueillement sans objet avec moi. J’aurais voulu être en présence du maître et j’avais la fâcheuse impression quelquefois de cercles concentriques de sous-disciples de disciples, le maître ayant passé sur l’autre rive et manquant cruellement…
Cependant tout ce travail ne fut pas sans fruit comme on va le voir bientôt…

XI - Zazen > Mozart > Grégorien


A ce moment-là je ne me sentais plus appartenir à aucune communauté, je me sentais donc disponible tout en continuant à pratiquer assez régulièrement. Parallèlement je poursuivais ce qu’il est convenu d’appeler un développement personnel. Dans ce projet d’une recherche d’une certaine libération intérieure, d’un assainissement de ma psyché, j’ai entendu parler du travail du professeur Tomatis, ORL, « phoniâtre », spécialiste de la réparation et de la rééducation des voix de grandes stars du lyrique, du théâtre et du cinéma et qui avait pour originalité de soigner la voix en rééduquant l’oreille. Les applications des recherches de Tomatis se sont faites ensuite pour l’apprentissage des langues et l’aide aux enfants en difficulté scolaire. Mais il est apparu au professeur Tomatis en même temps que son travail avait des effets sur certains problèmes psychologiques des patients qui venaient le consulter et un développement a eu lieu dans cette direction. Je ne sais pas où en est la recherche à l’heure actuelle dans ce domaine. Tomatis qui pratiquait le yoga avait toute une théorie sur la posture du marteau, des osselets et de l’enclume de l’appareil auditif et il préconisait de travailler cette posture après des stages appropriés pour améliorer son équilibre, récupérer son énergie et augmenter ses capacités vocales. Il avait une autre théorie sur la célèbre difficulté touchant à l’infirmité des Français à apprendre les langues étrangères comme à produire beaucoup de grands chanteurs lyriques : après analyse des fréquences de chaque langue il avait constaté que les langues comme le russe ou l’italien par exemple étaient plus étendues et mieux équilibrées que la pauvre langue française… c’est quand même sympa pour les francophones qui arrivent à de piètres résultats malgré leurs efforts méritoires. Il avait également prévu les méfaits de la médiocrité des casques (et pas seulement du volume sonore) de tous les baladeurs sur les oreilles de la jeunesse.

Bon, pour revenir à la démarche pratique voilà ce qu’il en était : Après un examen un peu plus sophistiqué que celui que l’on vous fait avant votre service militaire, un diagnostic particulier était fait concernant à la fois le déséquilibre auditif entre les deux oreilles, et les manques dans le spectre sonore de votre voix. A la suite de quoi un traitement adapté à chaque cas était préconisé. Ce traitement, surprenant, consistait à faire écouter dans des écouteurs de qualité supérieure de la musique filtrée par un équaliseur perfectionné, en correspondance avec les trous de la bande passante de votre voix. La musique de Mozart ayant été analysée par Tomatis comme la plus riche en harmoniques et donc la plus énergétisante et la plus structurante pour la personne humaine, on entendait du Wolfgang Amadeus à longueur de séance de rééducation. Cela tombait bien j’adorais Mozart mais ce qui aurait pu être un grand plaisir musical, ne l’était pas toujours vu que la musique était filtrée, et que c’était finalement parfois assez éprouvant au point que des pauses étaient prévues dans cette Wolfgangomanie très particulière et ces pauses n’étaient pas forcément silencieuses. On écoutait alors …du Chant Grégorien (!) mais non filtré. Et je dois dire que c’était efficace et que cela faisait le plus grand bien, pas seulement à cause de la surprise et du changement, ce qui n’était pas rien. Il est vrai que ce chant, sans accompagnement instrumental, sans sophistication polyphonique, sans rupture de rythme brutal, sans dynamique contrastée, ces voix nues, sans effet dramatique, sans pathos, ce chant presque intemporel semblant venir de si loin, procurait un réel apaisement et le goût d’une sérénité que l’on avait bien envie de retrouver non seulement après chaque séance de « torture », mais aussi en dehors de ce contexte thérapeutique…
Cette expérience auditive m’a poussé à approfondir l’exploration de ce travail et j’ai fait par la suite un stage qui a été très profitable à mes capacités vocales autant dans la qualité du son produit que dans l’accroissement de la tessiture. Incomparablement efficace. La pratique du chant est devenue alors, imprévisiblement, aussi importante que celle du piano.

XII - de Buddha à Jesus par Solesmes...



Cher lecteur qui aura eu la patience de me lire jusqu’à ce jour, j’ose alors dire pour cela,
Cher frère, voici ce qui se passa. :

Lors de vacances d’hiver, des amis m’avaient invité à les rejoindre dans une station de montagne où ils possédaient un chalet pour y faire du ski et jouir des plaisirs amicaux de l’après ski, mais bizarrement je n’en eus pas envie et je déclinai l’offre qui eut été pourtant bien profitable à un parisien pour s’oxygéner un peu. Non, je ne sais ce qui me prit, je décidai d’aller écouter en direct l’objet de ma découverte le chant dit Grégorien pour mieux le connaître et peut-être avec le projet de l’étudier pour le pratiquer moi-même ensuite vu les bienfaits que j’avais constatés sur ma personne au centre du professeur Tomatis.
Je me décidai alors pour le lieu qui m’avait été désigné comme le spécialiste de ce chant, c'est-à-dire le monastère bénédictin de Solesmes. Je pris donc contact avec le Révérend Père Hôtelier du monastère qui m’informa que je pouvais venir dans les jours qui suivaient. J’y allai donc… avec mon Zafu (coussin de méditation dont je ne me séparais pas plus que de ma pratique où que j’aille) et mes livres de Zen. J’annonçai d’ailleurs d’entrée la couleur au bon père : j’étais bouddhiste zen et je venais en ce lieu pour des raisons musicologiques, ayant expérimenté les bienfaits physiques du chant grégorien. Après avoir réprimé une petite grimace, il m’assura que toutes sortes de gens venaient faire un séjour au monastère, que ce n’était pas réservé aux Catholiques et que j’étais donc le bienvenu. On parla un peu de l’Afrique où j’avais travaillé un temps et où il avait contribué à installer un monastère au Sénégal où on avait « acclimaté » le Grégorien avec un accompagnement de Kora (harpe africaine) Keur Moussa je crois me rappeler.

On m’installa dans une cellule, pas tellement chauffée si je me souviens bien. J’y choisis soigneusement le lieu adéquat à poser mon Zafu et ce ne fut pas un problème de respecter la règle qui m’avait été faite d’assister aux offices puisque j’étais là pour en écouter un maximum. Je vivais au rythme des moines et prenais connaissance de l’organisation de leur vie quotidienne en m’y conformant mais en respectant l’autre règle fixée du respect de la clôture. Le matin je me levai et je faisais Zazen ainsi que le soir avant de me coucher. Mais cela ne dura pas longtemps…
Deux jours ! Peut-être même un jour et demi seulement !

XIII. Ma CONVERSION véritable : Μετάνοια


Rembrandt


Rapidement il m’arriva la chose suivante : ma vie passée défila comme un film devant moi et je me mis à pleurer et à sangloter pendant trois jours. Je revis et ressentis avec une douleur extrême et profonde tout le mal que j’avais fait et il m’apparut qu’il n’y avait pas un domaine qui ait été exempt de mes méfaits que ce soit directement, par complicité ou involontairement. Cela me laissa dans le désarroi le plus grand mais je reconnus tout, ne m’excusai de rien, assumai tout, ne cherchant aucune explication socioculturelle ou cause personnelle ou familiale quelconque qui pourrait me dédouaner de ou alléger au moins ma responsabilité. Non j’acceptai de reconnaître que j’étais pleinement responsable de tout. Autrement dit, vous l’avez compris, moi l’ancien athée devenu bouddhiste, je reconnaissais et regrettais dans les larmes tous les péchés (le mot était lâché) commis jusqu’à ce jour depuis le plus loin que je me souvienne. Et en même temps que j’étais dans cette douleur d’avoir commis tant de mal, je ressentais le pressant besoin d’en demander pardon de tout mon être et le plus étonnant c’est que j’ai ressenti alors au plus profond de moi un total pardon, une totale, immense et apaisante miséricorde. Le Notre Père m’est alors revenu du plus loin de mon enfance à la bouche et une conviction s’est imposée irrésistiblement à moi : j’étais donc chrétien. Et Notre Père, qui est aux cieux, m’avait pardonné. La paix alors envahit mon cœur et bien que des larmes reviennent par instants, je me sentais réellement et profondément pardonné sans aucun doute possible.



Bartolome Esteban Murillo


Je pris donc la décision d’aller trouver le Père Hôtelier qui était le seul moine avec qui j’avais un contact, je lui expliquai tout avec à nouveau des flots de larmes et je lui demandai de me confesser pour recevoir l’absolution avec le désir de m’unir le plus tôt possible au corps du Christ puisque j’étais chrétien.


Il m’écouta avec bienveillance mais il refusa de me donner l’absolution.
Ce fut une douleur terrible en même temps qu’une totale stupéfaction.


Je ne comprenais pas, et je comprenais d’autant moins, qu’intimement, j’avais reçu le pardon du Père, moi le fils prodigue, car il faut que je le dise : c’était en plein Carême (catholique et même orthodoxe ! J'ai vérifié il n'y avait que 4 jours d'écart cette année-là) et j’avais quarante ans !!! Quarante ans d'errance dans le désert en quête de la Terre promise. Et moi je ne savais plus, depuis belle lurette, ce que c’était que le Carême et j’ignorai même que nous étions dans cette période liturgique… Mais je venais de lire la parabole du Fils prodigue et je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas droit à la fête du repas du Seigneur, comme dans l’Evangile. Pour moi l’église visible ne pouvait que ratifier ce que m’avait offert si clairement et si généreusement le Ciel invisible.



Le bon Père fut intraitable mais il voulut bien finalement, devant les sanglots de mon chagrin persistant, me concéder quelque explication que je trouvai sans commune mesure avec ce que je venais de vivre ; il m’apparut que le moine ne discernait pas vraiment ce que je venais de vivre ni les possibilités de mon tempérament. Je vivais à l’époque sans être marié avec la mère de nos deux enfants et nous formions un couple stable depuis notre rencontre. Il était bien clair que je désirai fortement changer radicalement de vie et y mettre de l’ordre dans tous les domaines et que le mariage était bien entendu prévu au plus tôt. Le moine considérait que la chair étant faible nous pouvions pécher encore avant le jour du mariage et qu’il était préférable donc qu’il ne me donnât point l’absolution… ce fut une douche froide qui compta certainement un peu plus tard dans mon abandon du Catholicisme pour l’Orthodoxie…. Le révérend père s’aperçut sans doute un peu tard lors d'une visite postérieure en famille (à moins qu’il n’ait voulu m’éprouver mais ce ne n’était pas le projet positif dont j’avais besoin) de la force et de la durabilité de mon désir de m’engager et quand il me proposera de devenir oblat bénédictin, j’aurai déjà le projet de devenir Orthodoxe malgré mon amour du chant grégorien de l’époque…




Quoi qu’il en soit, mon engagement dans la foi chrétienne s’enracine dans ce repentir douloureux, sincère et profond aussitôt suivi de l’intime conviction du pardon divin. Et la « religion » n’a jamais été pour moi, depuis, qu’un aiguillon pour me rappeler ma condition de pécheur et ma totale et immense responsabilité devant Dieu et sa création. Cela n’a jamais été et ne pourra jamais être un refuge, une fuite devant la réalité, ou une consolation devant l’injustice de ce monde, ou l’espoir devant les difficultés et les épreuves de la vie d’une vie meilleure, un jour, quelque part en dehors de ce monde. Non ! Et je dois avouer que depuis ma conversion, je me serais bien passé quelquefois de cet aiguillon qui rend la vie moins confortable il faut le dire que la pseudo liberté tant préconisée dans les discours du monde, avec la bonne conscience des discours politiquement corrects qui dispense non seulement de mettre sa vie en accord avec ses paroles, mais qui justifie bien des refus de se sentir responsable de quoi que ce soit.… Mais l’engagement dans la foi et dans la voie (pour parler encore comme un ancien bouddhiste) permet aussi d’y trouver ce sans quoi nous retomberions durablement dans le péché ; la foi nous offre en même temps le pardon du Père et les moyens d’obtenir sa grâce sans laquelle nous n’aurions pas, nous-mêmes, par nos seuls moyens, la force de ne pas retomber.

Derrière les phénomènes en toile de fond, le vide sur lequel il n’y avait rien à dire était donc plein ; et cette plénitude était celle de l’amour des hommes, de la philanthropie de Dieu le Père, de sa sollicitude et de sa miséricorde envers ses enfants, car malgré la douleur ressentie à l’annonce du refus du moine et ma déception, je n’ai jamais plus douté de cela. Ce fut cette découverte qui me permit de me redéfinir comme chrétien. Plus tard j’oserai avec audace interpréter le zen à la lumière de la foi chrétienne.

DU CATHOLICISME À L'ORTHODOXIE. I




Je ne suis pas resté catholique très longtemps, je n’ai pas pu : deux ans, mais bien remplis.

Au début c’était un bonheur indicible, j’étais comblé par la grâce et je ne pouvais entrer dans une église sans que les larmes ne me coulent toutes seules des yeux sans autre motif que l’action de grâce.
J’ai alors fait un stage de grégorien, pour louer Dieu avec, pour moi à l’époque, le plus beau et le plus adéquat des chants. Mais pas à Solesmes, avec Iegor Reznikov, je suis incapable de me rappeler comment ni pourquoi lui. Ce qui m’apprit qu’il n’y avait pas qu’une seule école avec l’objectif de rétablir le Grégorien dans son authenticité mais au moins trois écoles avec des approches différentes : Reznikov et Marcel Peres. Depuis j’en ai rencontré d’autres… Les préoccupations d’Iegor quant à l’importance du son produit (il enseignait alors également le chant diphonique), en résonance avec à la fois le corps et l’architecture sacrée, de l’antiquité du chant sacré local, de la transmission orale, de la tradition, tout cela me convenait à merveille et complétait bien le travail effectué chez Tomatis. Je me rappelle que le stage se déroulait près d’une rivière et que c’était pour moi comme un merveilleux renouvellement du baptême, chaque matin, quand au milieu de l’eau fraîche je récitais le Notre père avant d’aller suivre les cours. Et tout cela était pour moi d’un grand réconfort et plein de promesses après ma blessure de ne pas avoir reçu l’absolution.
J’adorais l’architecture romane et j’entraînai ma famille dans toutes les régions de France où l’on pouvait admirer toutes ces merveilles et avec une audace folle j’entonnais, dans chaque temple de Dieu, à pleine voix et avec toute ma foi nouvelle tous les chants que j’avais appris à mon stage devant les statues du Seigneur, de la Mère de Dieu et des saints.
Je prenais à cette époque le train de banlieue pour aller travailler et j’avais du mal à me retenir de chanter dans les voitures pour clamer à ma manière la Bonne Nouvelle. Je me contentais alors de réciter le chapelet silencieusement pour tout le wagon afin que Le Seigneur leur accorde comme à moi la grâce de la metanoia.
Et puis j’ai lu tous les jours les Ecritures et je me suis procuré l’incontournable missel grégorien Le Paroissien Romain N 800, ça n’a pas été facile de le trouver mais cet ouvrage comme ensuite les livres des opuscules des Pères et des œuvres des grands mystiques qui ont enrichi ma bibliothèque ainsi que mon cœur et mon intelligence étaient souvent bradés comme « vieilleries » par des curés et des couvents dans des kermesses ou bien on les trouvait avec ces vêtements et ornements sacerdotaux et autres objets du culte dans des brocantes ou marchés aux puces … Cela m’attristait et m’indignait que des religieux pensent devoir se débarrasser de tout cela mais en même temps j’étais bien aise de trouver tous ces livres pour les acquérir…J’ai donc travaillé les chants de chaque grande fête, en écoutant les microsillons des enregistrements des moines Solesmes…

Mais voilà ce qui s’est passé : la grâce s’est peu à peu retirée et je n’ai plus vu avec les yeux de l’amour ce qui se passait dans les paroisses ordinaires où je devais me rendre le dimanche...
Je n’ai plus vu que de lamentables sortes de mauvais spectacles participationnistes produits par des amateurs en jeans et baskets, avec du matériel rudimentaire ou défectueux, des chansons minables : rien de sacré, rien de pieux, rien qui puisse prendre le relais de la grâce, rien qui puisse désaltérer et nourrir mon âme… avec des homélies qui tenaient plus du discours syndical ou politique que du cheminement spirituel. En somme toujours les mêmes discours moralisateurs que dans mon enfance sauf qu’ils avaient changé de sphère politique : des discours de droite condamnant sans appel les faibles, on était passé à gauche avec des discours de culpabilisation à propos de toutes les injustices sociales comme si un chrétien était obligatoirement un privilégié…Toujours le même écrasement. Je ne comprenais pas du tout le besoin de se réunir au nom de Dieu dans ce qui ressemblait architecturalement à des lieux de culte pour du militantisme qui était à la fois peu efficace (bien mieux fait ailleurs), et de surcroit toujours soupçonné de ne pas être du bon bord (par ceux qui s’y étaient engagés totalement sans référence à une quelconque religion), donc toujours placé dans la position de celui qui doit faire ses preuves d’être du côté de la juste lutte des classes… Des offices en grégorien point, en tout cas près de chez moi, ou alors une confusion systématique avec un certain engagement politique qui ne me convenait pas forcément… même si ma conversion m’a fait remarquablement revoir toute ma vie dans tous ses domaines et tous mes positionnements, donc toutes mes idées, sur tout.

DU CATHOLICISME À L'ORTHODOXIE. II

La grâce demeurait néanmoins suffisamment en moi pour que je ne me décourage pas. Je décidai donc de mettre de côté momentanément mon besoin de grégorien et je poursuivis mes recherches dans ce qui était plus contemporain de ce que je connaissais du Christianisme. C’est ainsi que j’allai explorer le mouvement charismatique et je dois dire que ces groupes n’étaient pas plus appréciés que les zélotes du rite de St Pie X par les représentants officiels de l’Eglise romaine. Ceux-ci n’étaient pas politiquement corrects quant à ceux-là, ils furent assez tôt soupçonnés de sectarisme. Il y a une certaine injustice dans ces représentations hâtives.
À St Nicolas du Chardonnet où je me suis rendu quelquefois, j’ai été agréablement étonné de voir qu’il y avait beaucoup de dévotion, que visiblement toutes les classes sociales y étaient représentées ainsi que toutes les races et que l’église était pleine, contrairement aux « normales », et tout cela avec une liturgie grégorienne qui avait belle allure. Je n’y ai donc point constaté que c’était un abominable repère de fascistes, racistes et autres farouches gardiens de leurs privilèges méprisant le peuple malgré le lumineux changement de régime déjà ancien de trois siècles que nous a valu La Révolution Française...
Quant aux charismatiques particulièrement La communauté du Lion de Juda et de l’Agneau immolé à laquelle j’ai rendu visite plusieurs fois également, j’y ai vu de tout certes (des fanatiques, des clients évidents de groupes sectaires, des illuminés, et autres névrosés, et des gurus en herbe évidemment) mais aussi des chrétiens désireux de retrouver toute l’authenticité, la force, l’efficience, de la Parole de Dieu, et de puiser leur foi dans le miracle des guérisons de toutes sortes comme il est enseigné dans les Écritures pas plus ni moins. J’ai vu aussi chez eux le désir de vivre fraternellement, donc en communauté comme les premiers chrétiens.Certes je me suis aperçu que le spontanéisme pentecôtisant des prières collectives si séduisant de premier abord par la chaleur émotionnelle de l'assemblée se transformait rapidement en une langue de bois souvent répétitive et peu inspirée , par les muses ou par l'Esprit Saint...
J’y ai vu également une forme d’ouverture que je ne pouvais qu’approuver venant du Bouddhisme moi-même et étant toujours respectueux et reconnaissant envers ce chemin spirituel. Ironiquement cette ouverture ne concernait pas le Bouddhisme qui y était diabolisé et l’on me conseilla carrément un exorcisme…Y existait donc un certain « œcuménisme » (que je critique tellement maintenant dans son côté erroné, réducteur et impérialiste) qui ouvrait largement les portes et les fenêtres - certes dans la confusion - sur le Judaïsme, et… l’Orthodoxie ; ce qui n’a pas été sans effet sur moi. Les intentions (en faisant la part du militantisme et du prosélytisme romain prêt à tout récupérer) me semblent toujours plutôt louables même si l'illusion spirituelle y règne et si les résultats et la suite le sont certes beaucoup moins…

DU CATHOLICISME À L'ORTHODOXIE. III




Bref je n’avais pas encore trouvé, dans tout ça, tout à fait mon compte alors j’ai ressorti mon zafu et je suis allé voir chez ceux qui avaient reconnu les bienfaits du Zazen tout en restant chrétiens, et plus particulièrement catholiques. J’ai contacté un Bénédictin dans la ville, le RP Benoît Billot qui avait fait de nombreux séjours au Japon dans des monastères Zen, qui pratiquait donc le Zazen tout en demeurant moine catholique et qui m’a accueilli avec beaucoup de sympathie bien qu’étonné que j’apprécie le grégorien. Quant à moi je fus étonné qu'un Bénédictin n'aimât point le grégorien mais j’ai pensé un temps avoir trouvé ce qui me convenait. J’ai participé à des liturgies préparées par un temps de Zazen et où l’on communiait ensuite sous la forme de petits pains levés (que je comprendrai ensuite être inspirés des prosphores orthodoxes). J’ai assisté à des conférences intéressantes sur les mystiques rhénans hommes et femmes, et sur la théologie apophatique de l’Eglise d’orient et même sur la Prière du cœur. Et je suis resté attentif et ouvert jusqu’à ce que je participe à une session de Zazen que j’attendais avec impatience « à la sauce » catho et là je n’ai pas pu en faire d’autres. C’était bien trop éloigné de ce que j’avais connu : on était tous en rond les uns en face des autres, dans un louable projet de fraternité sans doute, mais j’étais habitué à être face à un mur nu, face à moi-même et puis il n’y avait plus tout le rituel zen immuable si beau et qui était si nécessaire quand je pratiquais, et je ne parvenais pas à m’y retrouver dans cette adaptation, tout cela me paraissait faible et dénaturé… et puis il y avait un peu trop de dames à mon goût et je me demandais au bout d’un moment si j’avais bien ma place là au milieu de ces dévotes (au Père Billot…) entre deux tranches d’Hadwige d’Anvers et des Béguines d'autant que je m'étais penché depuis un certain sur la mystique rhénane masculine. Je n’y suis donc pas resté plus longtemps…

DU CATHOLICISME À L'ORTHODOXIE. IV



Cette expérience ratée de Zen Chrétien (me reste un très beau livre de J.K. Kadowaki " Le Zen et La Bible" aux Editions Albin Michel, Collection Espace livre) m’aida à sortir de ces eaux mêlées et à prendre davantage en compte mon nouvel engagement. Mon cœur était devenu chrétien, restait à sanctifier la tête.
Je fis donc un beau colis avec mes statues et objets de culte bouddhistes (qu’un dévot charismatique m’avait vivement pressé d’enterrer ou de jeter à la poubelle avant de me faire administrer un exorcisme - auquel n’avait même pas pensé le Bénédictin !...) et j’envoyai le tout à Lama Denis avec une lettre où je lui disais qu’étant devenu chrétien je lui faisais cadeau de ces objets me semblant lui revenir de droit. J’ajoutai à ma lettre une demande, à lui qui avait l’habitude d’organiser des rencontres spirituelles inter traditions, de me donner quelques conseils et adresses concernant des maîtres spirituels chrétiens afin que je puisse suivre leur enseignement comme on le fait dans le Bouddhisme. C’était un peu audacieux et peut-être un peu cavalier de ma part cependant Lama Denis non seulement me remercia du cadeau mais il me donna bien volontiers trois adresses de moines chrétiens qui pourraient correspondre à mes vœux en me souhaitant bonne route.
Je m’empressai donc, étant en congé, de contacter ces Pères spirituels sans savoir lequel serait celui qui me conviendrait bien sûr.
Et voici comment la Providence, qui a pris soin de moi à tout instant de ma recherche, Bénie soit-Elle ! - est intervenue :
J’avais donc trois personnes à contacter dans trois monastères différents et je ne connaissais aucun des trois. Je téléphonai donc au premier de la liste à plusieurs reprises, en vain. Je téléphonai donc au second mais toujours sans succès après plusieurs tentatives. Je commençai à être un peu découragé. Il ne m’en restait donc plus qu’un… qui me répondit, celui-ci, au premier appel téléphonique ; je lui demandai s’il était possible de séjourner dans son monastère, il répondit par l’affirmative, je lui demandai donc s’il était possible de venir rapidement et il me répondit que ça l’était et je lui annonçai donc ma venue. J’étais donc attendu. Je pris donc le train pour ma destination, puis un taxi m’emporta jusqu’au monastère en question. Je ne vous dis pas tout de suite où c’était ni comment s’appelait le Révérend Père en question pour laisser un peu les choses en suspens. Parvenu devant le portail du monastère, celui-ci me parut des plus exotiques (tout est relatif…) si bien que je fis part de ma surprise au chauffeur et lui demandai s’il ne s’agissait pas par hasard d’un monastère… orthodoxe ! Je n’en avais jamais vu mais cette idée m’était venue tout à coup. Il me confirma aussitôt dans mon intuition et je me réjouis de la bonne surprise car, c’est étonnant mais à l’époque j’étais plutôt œcuménique (Ben oui ! comme quoi…). Je n’avais lu que peu d’ouvrages sur l’Orthodoxie mais j’étais d’autant plus ouvert à ce domaine qu’elle faisait partie pour moi à l’époque de l’Orient dont j’attendais le salut depuis les débuts de ma recherche.
Ce monastère était celui de Père Placide Deseille .



Monastère St Antoine le Grand


J'y restai une semaine essayant d'avoir le plus d'entretiens possibles avec Geronda bien sûr. Ils furent peu nombreux bien sûr, l'Higoumène ayant un emploi du temps chargé, mais ils furent attentifs à ma quête, bienveillants, éclairants, instructifs et encourageants.

C’était le Grand Carême (une fois de plus !) et j’assistai à tous les offices. Désorienté en un premier temps, j’ai regardé et j’ai imité, comme tout le monde fait. Mes nuits ont été courtes entre les offices, les prières et les livres et revues dont j’essayai de lire le plus possible ; il restait peu pour le sommeil. Un texte m'a ébloui totalement : "Chant d'entrée" du Père Basile, (Βασίλειος Γοντικάκης) higoumène, à l'époque encore, du monastère de Stavronikita et maintenant de celui d'Iviron (que la Toute Sainte Portaïtissa le garde !). Tout ce que je cherchais s'y trouvait dans une forme splendide, merveilleuse et pénétrante, cela oui ! c'était le Christianisme auquel aspirait tout mon être !

COMMENT JE SUIS DEVENU ORTHODOXE : HOMMAGE À PÈRE BARSANUPHE


Les deux premières adresses qui m'avaient été données par Lama Denis étaient en fait celles de deux moines catholiques et la troisième, la seule que j'aie réussi à contacter, donc, était la seule orthodoxe ( !) mais j'ignorais totalement tout cela au départ... En en prenant connaissance, j'ai considéré assez rapidement que là était l'appel de La Providence. Quand je suis revenu du monastère St Antoine du Père Placide, j'ai évidemment recherché tout autour de moi tout ce qui pouvait porter le nom d'orthodoxe, lieux et personnes, et la documentaliste de l'établissement où je travaillais alors, avec qui j’avais sympathisé à la suite d’une conversation sur les anges (sic !), ancienne prof de Russe, catholique traditionnaliste mariée à un Russe orthodoxe, m'a fait découvrir tout près de mon lieu de travail (Merveilles de la Grâce encore une fois !) le Skit du St Esprit au Mesnil Saint-Denis où je pouvais même me rendre à pied. J'y fis donc la connaissance de Père Barsanuphe, moine d’origine française à l’allure plus russe que les Russes et fervent défenseur à l’époque du slavon. Père Barsanuphe m’a aidé à distinguer les différences théologiques entre Catholicisme et Orthodoxie, sa catéchèse m’a été d’autant plus précieuse que je pouvais aller le voir souvent. Il m’a initié à l’iconographie et j’ai bien sûr pu admirer la petite chapelle dont Père Grégoire Krug, - dont la tombe est derrière le sanctuaire - , a peint les fresques. Je me sentais au cœur du mystère dans cette merveilleuse sorte de grotte de Bethléem et peu à peu je me pénétrais de l’esprit et de l’âme de l’orthodoxie. Je voudrais rendre hommage à Père Barsanuphe, on en parle peu dans les medias orthodoxes officiels, mais je sais combien je lui dois. Je me mis à aller au skit chaque fois que je pouvais et je m’introduisais, avec une certaine audace, même en l’absence du moine et donc sans son autorisation, dans le parc du skit et devant la porte de la chapelle je récitais mon psautier ou mon tchotki acquis au monastère St Antoine. Tous les vendredis je prenais mes tranches de pain complet apportées de la maison pour mon repas de jeûne de midi et j’allai prier avant de reprendre le travail… jusqu’au jour où Père Barsanuphe, sorti à ma grande surprise de son ermitage, s’est mis presque en colère et m’a demandé ce que j’attendais pour devenir orthodoxe, me faisant remarquer que depuis le temps que je venais avec mon chapelet faire des métanies devant la porte d’un sanctuaire orthodoxe cela avait quelque chose d’un peu incohérent… c’est lui et la lecture d’un livre important dans mon cheminement spirituel, « Pour que l’homme devienne Dieu » du Père catholique François Brune, qui m’ont décidé à franchir le pas. Ce livre a pour moi été le pont entre les mystiques catholiques qui étaient ce qui m’intéressait le plus à l’époque dans le Catholicisme et la théologie orthodoxe au point que quand j’ai eu fini d’étudier le livre, il ne m’a pas semblé que l’on pouvait être chrétien sans être orthodoxe. Aussi la question du Père Barsanuphe n’est pas restée sans réponse. Je suis donc retourné un jour en famille au monastère St Antoine et nous sommes devenus Orthodoxes. Pendant tout un temps ensuite je suis allé à la liturgie que célébrait Père Barsanuphe tous les mercredi matin et ce fut une période merveilleuse. Père Barsanuphe obligeait de se confesser avant d’assister à la Liturgie et je trouvais cela bien pratique pour limiter les occasions de pécher, jamais je n’ai remis en question cette pratique, au contraire j’aimais cette exigence. De la même façon les célébrations en slavon ne me posaient aucun problème, car j’avais aimé de la même façon le tibétain, le sino-japonais et le latin dans les différents offices des étapes de mon cheminement spirituel. J’ai toujours su qu’en entrant dans un sanctuaire ce n’était plus le moment de faire travailler le mental et que bien au contraire l’étude, la réflexion, l’analyse, la traduction devaient se faire avant ou après mais pas pendant les offices. J’ai adoré ces liturgies et je considère comme une grâce d’avoir pu y participer. Après la liturgie, nous nous rendions sur la tombe de père Grégoire, l’iconographe, pour y célébrer une pannychide et cela a été pour moi la révélation de l’émotion profonde que j’éprouve à prier pour les défunts. Plus tard dans ma paroisse je ne me suis jamais fait prier pour aller chanter des pannychides sur les tombes. Je me rappellerai toujours deux simples phrases de Père Barsanuphe : « Un Orthodoxe se tient droit ! » (consigne très parlante pour un ex bouddhiste zen) phrase qui m’a accompagné depuis, toute ma vie, à travers toutes les épreuves, et m'a aidé à me relever dans la certitude de la Résurrection et l’autre « Tenez-vous toujours en présence de Dieu !» ce que j'essaye bien sûr de faire encore aujourd'hui, bien des années après, accrochant mon regard sur les icônes quand défaille mon âme désorientée. Gloire à Toi ô Notre Dieu ! Gloire à Toi !



lundi 14 juillet 2008

Pourquoi j'aime tant l'Orthodoxie


Il m'a semblé que je pouvais rajouter ce texte que j'ai écrit pour la semaine de l'unité des chrétiens (dans mon autre blog) pour expliquer, comme un orthodoxe ordinaire et non comme un savant théologien, comment je ressens les différences entre les confessions chrétiennes et pourquoi j'aime tant l'Orthodoxie.

Chers frères catholiques et protestants,

Vous vous plaignez quelquefois de notre peu d’entrain à vous suivre et sans doute nous trouvez-vous quelquefois bien en retard sur le chemin que vous avez tracé et sur lequel vous êtes convaincus qu’il faut aller de l’avant. Voilà pourquoi, fraternellement, je voudrais que vous preniez connaissance de quelques unes de nos raisons car il est bien possible que ce que vous cherchez vous le trouviez en nous prêtant attention, parce que nous l’avons déjà...

Vous désirez retrouver, peut-être pour redonner plus d’authenticité à votre foi (la vivez-vous donc comme inauthentique ?), les racines juives du Christianisme et vous retravaillez le texte hébreu de la Bible en même temps que vous fondez toutes sortes d’associations de recherche et de fraternités à la fois pour retrouver plus de vérité et pour supprimer toute inimitié entre les Chrétiens et la part du peuple juif qui n’a pas reconnu en Yeshoua-Jésus le Messie. Et sans doute tout cela est-il plein de bonnes intentions voire même louable. Sûrs de la justesse de votre démarche donc, vous voudriez que nous vous suivions sur ce chemin et vous trouvez que nous n’avançons pas avec assez motivation.
Mais nous ne ressentons pas le même besoin que vous car, fidèles à la version de notre Bible des Septante nous savons que bien qu’écrite en grec, elle est la traduction faite par des savants Juifs eux-mêmes, d’un texte hébreu bien antérieur à la version massorétique qui vous donne tant de peine. Nous ne ressentons pas le même besoin car nous savons et vivons dans tous nos offices - auxquels nous voulons avec tant de motivation rester fidèles malgré leur longueur et leur rituel perçus comme si étranges à notre époque - nous savons que nous vivons des offices issus, sans interruption, en droite ligne du Temple de Jérusalem que seule la foi en la Messianité de Notre Seigneur Jésus le Christ ont légitimement réformés. Et puis nous avons une telle foi en notre foi que nous n’éprouvons pas le besoin de remarquer et de compter le nombre de Juifs devenus Chrétiens, simples fidèles, officiants et hiérarques, tellement ils sont nombreux tout au long de l’histoire, et dans tous les pays orthodoxes, à avoir trouvé le bonheur de pouvoir tout naturellement reconnaître que Messiah et Christos sont une seule personne. Ils se sont retrouvés aisément chez eux avec toutes nos traditions auxquelles nous sommes si attachés et dont on voudrait tant que nous nous séparions pour être « de notre temps ».

Vous recherchez également à vous départir des arides réflexions intellectuelles quelque peu asséchantes et fastidieuses, qui aboutissent par leur souci de conceptualisation et de formalisation à vous faire vivre votre foi surtout dans la tête, loin de la vie du cœur et du corps. Aussi ressentez-vous la nécessité d’introduire dans vos offices et vos réunions de prière plus de chaleur, d’émotion, de nouveaux symboles et de nouveaux gestes, de nouveaux rituels et de nouvelles pratiques où votre être, incomplètement pris en compte et nourri puisse trouver satisfaction dans une plus grande unification de l’esprit et du corps.
Mais nous n’avons pas ce même besoin car nos temples comme nos textes de prières, comme nos objets liturgiques, comme nos rituels, comme nos pratiques traditionnelles, comme notre mode de présence à l’église, foisonnent de symboles profonds, enracinés depuis l’aube des temps dans l’humanité, et transfigurés par la foi chrétienne qui nourrissent tout notre être dans toutes ses composantes et le portent à la prière sans séparation du corps et de l’esprit, parlant à l’homme directement sans le détour de l’analyse et du volontarisme et ceci de manière naturelle parce qu’authentiquement et pleinement humaine depuis toujours.

Vous êtes quelquefois fascinés et admiratifs, en même temps que craintifs d’ailleurs ,devant la pratique musulmane, leur foi sûre d’elle-même, la régularité et la fidélité de leurs prières, la motivation et la rigueur de leurs jeûnes et l’importance qu’ils donnent à leur pèlerinage et aussi leurs traditions culinaires si attirantes.
Pourquoi n’avons-nous pas cette même attirance ? Sans doute parce d’abord les Orthodoxes connaissent davantage que d’autres, et depuis bien plus longtemps, pour avoir vécu ou vivre encore sous leur joug, le monde musulman. Les occasions de martyre n’ont d’ailleurs pas manqué tout au long de l’histoire et ne manquent toujours malheureusement pas dans cette « cohabitation » et ceci dans de nombreux pays. Ensuite parce qu’encore une fois ce qui pourrait manquer aux Chrétiens d’Occident – mis à part le martyr depuis quelques siècles – ne nous manque pas : nous n’avons en effet rien à envier à la fermeté de la foi, ni à l’importance des prières pieusement conservées dans leur intégralité, ni au respect des jeûnes nombreux et rigoureux, ni non plus par ailleurs à la multitude de plats agréables spécialement préparés pour toutes sortes de fêtes comme la commémoration des morts, les fêtes des saints et les Grandes Fêtes de Notre Dieu.

Par ailleurs certains ressentent la nécessité d’être modernes, de vivre avec leur temps et sans doute quoi de plus de raisonnable ? Les mœurs, les relations sociales, les coutumes changeant à chaque époque il semble donc nécessaire de suivre son époque.
Cependant d’une part nous ne pouvons qu’être circonspect avec les changements et les modes. Jean Cocteau ne disait-il pas en fin connaisseur : « La mode c’est ce qui se démode » ? Si n’importe quelle sagesse – sans qu’il soit nécessaire d’aller courir en Orient –ne préconise pas autre chose que de rechercher ce qui n’est pas constamment changeant mais plutôt demeure éternellement stable, combien plus notre foi nous incite-t-elle à le faire.
D’autre part il est quelquefois des demandes légitimes qui se revendiquent du progrès nécessaire et recommandable et qui pourraient être faites, tout simplement, au nom d’un retour aux sources. Après tout, c’est aussi le sens du mot révolution. Ainsi en est-il du célibat des prêtres et de sa remise en question. On peut légitimement en effet se demander s’il y a coïncidence obligatoire entre vocation sacerdotale et vocation monastique. Evidemment les Orthodoxes ne se posent pas cette question puisque fidèles à la tradition en ce domaine comme dans les autres ils préfèrent pour assurer le service de l’Eglise accorder leur confiance à des hommes qui connaissent intimement leur vie quotidienne sous tous ses aspects pour la vivre eux-mêmes. Là encore il ne nous paraît pas que la fidélité à une tradition soit si mauvaise ni si inadaptée à notre temps.

Les Chrétiens occidentaux ont également pris conscience depuis déjà un certain temps maintenant qu’il manquait à leur vie spirituelle une dimension méditative qu’ils se sont mis à rechercher dans les contrées spirituelles extrême-orientales et ont fini soit par quitter la foi de leurs pères pour en adopter une nouvelle soit ont essayé avec plus ou moins de difficultés de faire cohabiter divers types de méditation avec prières et offices de leur religion primitive. Cette quête spirituelle ne s’est pas faite sans raison et ne peut être qualifiée hâtivement de renégate. Le besoin d’unifier le corps et l’esprit dans la prière, la nécessité ressentie de mettre l’accent sur la réceptivité dans un monde abusivement activiste et agité, il n’était pas évident de les satisfaire si l’on n’était pas spécialiste et si l’on ne se séparait pas du monde.
Or l’Orthodoxie, encore une fois, alors qu’elle pourrait être vue comme inadaptée au monde contemporain offre non seulement une pratique spirituelle qui n’a rien à envier aux disciplines extrême-orientales par l’authenticité de sa tradition multiséculaire et la sainteté de ses maîtres, mais peut en outre être pratiquée constamment, comme son enseignement le plus traditionnel y invite, dans la vie quotidienne de tous les jours, la plus ordinaire de notre époque même, et par tous de surcroît. Pourquoi aller chercher ailleurs ce qu’offre traditionnellement notre Eglise de façon cohérente, sans distorsions, sans contradictions sans placage artificiel, sans recherche exotique, sans préoccupation de modernité ?

Chers frères, nous n’aborderons pas ici les divergences, les problèmes théologiques, les controverses et les polémiques historiques mais il faut savoir que cette même cohérence que nous venons d’exposer précédemment pour des points particuliers de notre pratique se retrouve nécessairement dans la formalisation de notre foi, sa théologie, son ecclésiologie et que le souci d’être fidèles aux sources mêmes de notre foi est ancré en nos vies de chrétiens.

Nous ne parlerons pas comme des Orthodoxes militants, d’ailleurs bien que l’Orthodoxie soit aussi missionnaire, elle n’est pas pour autant prosélyte dans le sens d’encourager à tout prix à y adhérer. En considérant cela nous espérons qu’une meilleure compréhension pétrie de l’acceptation et du respect de l’autre tel qu’il est, sans vouloir le changer en pensant que l’on a forcément raison, pourra se développer entre nous. Sans doute le temps des anathèmes est-il révolu, et peut-être faut-il aller jusqu’à suivre le conseil d’un hiérarque d’une foi qui n’est pas la nôtre, le Dalaï Lama qui dissuade de « greffer une tête de yak sur un corps de mouton », qui encourage chacun à approfondir sa propre tradition et dont personne ne songerait à vouloir changer ni le costume, ni les rituels, ni le calendrier. Peut-être est-il tout simplement nécessaire que chacun approfondisse sa pratique, sa foi, sa confession, en considérant l’autre avec respect, compassion, sans vouloir le convertir au moins à son style, mais avec le simple désir d’essayer de le connaître en sachant que « connaître » au sens biblique présuppose une intimité qui ne peut que se vivre en contact proche et non pas seulement se parler. Ne s’agit-il pas d’amour ?

Nous Orthodoxes – mais est-ce bien orthodoxe ce que je vais dire ? – nous aurions envie de vous inviter à assister à nos liturgies dans le plus grand esprit d’ouverture et la plus grande réceptivité possible plutôt que d’essayer laborieusement de fabriquer des offices de prière communs qui, pour être de la meilleure volonté, avec les motivations les plus respectables, nous semblent par trop volontaristes et quelque peu superficielles ou seulement extérieures et culturelles au lieu d’être spirituelles. Encore une fois ce que je vais suggérer n’est pas de la plus pure Orthodoxie mais peut-être l’unité entre Chrétiens, si elle se fait, se fera-t-elle plus sûrement dans le secret et l’invisibilité de la source de Lumière d’où naissent et où reviennent toutes les ombres passagères, quand chacun approfondira sa foi et sa pratique, dans la plus grande sincérité, dans l’exigence non seulement de la vérité mais de la charité.
Maxime, fidèle orthodoxe